Les projets de gazoducs, une concurrence diplomatique supplémentaire entre l’Algérie et le Maroc

January 8, 2024

Écrit par Océane DE BIE, chercheuse au sein du Laboratoire Proche et Moyen-Orient du CEDIRE. 

Cet article a pour objectif d'observer la concurrence régionale entre l'Algérie et le Maroc à travers leurs projets de gazoducs.

Des tensions historiques entre l’Algérie et le Maroc

La rivalité entre le Maroc et l'Algérie constitue une question complexe et profondément ancrée dans l'histoire post-coloniale des deux nations. Dès les années qui ont suivi leur indépendance1, le principe de l’uti possidetis2 a été une source de tension majeure.

Au cœur de ces tensions se trouve également la question du Sahara occidental, une région contestée où l’Algérie soutient le Front Polisario3. Ce conflit reste un point d’achoppement crucial dans les relations algéro-marocaines. La fermeture de la frontière terrestre en 1994 n’a fait qu’exacerber les tensions. Enfin, dans le cadre des accords d’Abraham, la signature par le Maroc de l’accord de normalisation avec Israël a ajouté une nouvelle dimension aux relations déjà complexes. À cette toile s’ajoute un nouvel élément perturbateur : la guerre du gaz – qui englobe désormais le Maroc, l’Algérie et par extension, le Nigéria.

Le projet de gazoduc en Afrique de l’Ouest

  1. Le gazoduc Transsaharien4, un projet paralysé

Le gazoduc Transsaharien est l'un des principaux projets de partenariat entre l'Algérie et le Nigeria pour le transport de gaz naturel vers l’Europe. Au-delà d’une avancée considérable en termes d’échanges énergétiques et d’une aubaine financière concernant la vente de gaz algéro-nigérian, ce projet pourrait redéfinir la géopolitique de l’approvisionnement en gaz naturel entre l’Afrique et l’Europe.

Bien que l'idée d'un gazoduc transsaharien ait été évoquée dès les années 1970, le projet s'est concrétisé en 2001 lorsque l'Algérie et le Nigeria ont conclu un Mémorandum d'Entente (MOU). Un protocole d'accord a ensuite été formellement signé en 2002 entre les entreprises pétrolières nationales : Sonatrach et la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC), sous l'impulsion du Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD). En 2009, le projet fut approuvé par un accord à Abuja entre les gouvernements de l'Algérie, du Niger, du Nigeria, Sonatrach et la NNPC5. Le coût est estimé en 2009 à environ 10 milliards de dollars et a été réévalué à la hausse, atteignant aujourd'hui 13 milliards de dollars.

Actuellement, le projet est dans une impasse en raison de plusieurs obstacles. D’abord, la traversée du Niger présente un problème de sécurité en raison d'activités de groupes armés tels que Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb islamique. En effet, ces groupes pourraient considérer le gazoduc comme une cible de grande valeur. De plus, la présence des rebelles Touaregs6, des groupes militants islamiques7 ainsi que la menace du Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger suscitent de réels doutes quant à la viabilité de cette infrastructure. Mais malgré ces menaces, le ministre nigérian des Affaires étrangères, Yusuf Tuggar, a récemment communiqué, lors du 10e séminaire de haut niveau sur la sécurité et la paix en Afrique, des « progrès significatifs et notables » du projet Gazoduc transsaharien8.

Toujours est-il que le report de ce projet ouvre la voie à d'autres alternatives énergétiques dans la région, en particulier le gazoduc Maroc-Nigeria, qui pourrait introduire de nouvelles dynamiques tant sur le plan géopolitique que sur le plan énergétique.

  1. Le Nigeria-Maroc Gas Pipeline9, un projet encourageant

Saisissant cette opportunité, le Maroc propose la mise en place d'un gazoduc sous-marin le long de la côte ouest de l'Afrique. L'objectif de cette initiative est de connecter tous les pays de l'Afrique de l'Ouest au Maroc, établissant ainsi un marché régional du gaz naturel. En outre, cela permettrait aux pays de la région d’accéder à une source d’énergie fiable et bon marché.

L'annonce officielle du début du NMGP a été prononcée en 2016 par Mohammed VI lors d'une visite officielle au Nigeria, et l'accord a été signé le 10 juin 2018. Ce projet constitue un investissement significatif de 25 milliards de dollars, avec une contribution de 50% de la NNPC10, le positionnant parmi les investissements les plus importants en Afrique de l'Ouest.

En 2020, le projet a connu une évolution notable, passant d’un accord bilatéral à une initiative régionale. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest11 joue un rôle particulièrement important dans cette initiative11. En 2022, la Banque islamique de développement12 et le fonds souverain de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)13 ont annoncé leur participation au financement de la deuxième étude de faisabilité du projet. Le Maroc a ainsi pris de l'avance par rapport au projet algérien, surtout depuis le lancement de la deuxième phase de l'étude d'ingénierie. Cette étude a conclu que le NMGP serait connecté au gazoduc Maghreb-Europe, fermé par l'Algérie fin 2021, permettant ainsi d'alimenter le Niger, le Burkina Faso et le Mali. En juin 2023, la signature d'un Mémorandum d'Entente avec la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Libéria et le Bénin14 a confirmé l'engagement de ces pays à se joindre au projet.

La Géopolitique des gazoducs, un équilibre délicat entre stratégies régionales et alliances internationales

Les deux projets concurrents de gazoducs ne se limitent pas à être de simples infrastructures économiques, mais constituent assurément des stratégies géopolitiques. Ces initiatives favorisent des tensions déjà existantes tout en introduisant de nouveaux défis pour l'avenir énergétique et politique de la région. À mesure que ces projets progressent, ils continueront à redéfinir les équilibres de pouvoir dans la région, avec des implications qui s'étendent bien au-delà du secteur gazier. Bien que le TSGP15 ne soit pas un projet récent, la guerre en Ukraine, ses conséquences sur le secteur énergétique, et la volonté de l'Union européenne de se détacher du gaz russe semblent insuffler une nouvelle dynamique à ces deux initiatives.

De plus, Alger et Rabat sont parfaitement conscients que le conflit ukrainien en cours entraîne une réorganisation des relations au sein de la communauté internationale.

En l’espèce, le vote de la résolution 262316 du 2 mars 2022, portant sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, relève la stratégie de vote des États en fonction de leurs intérêts nationaux et régionaux.

L’Algérie, alliée de longue date de la Russie, s’est en outre abstenue. Bien que la Russie soit le principal fournisseur d’armements de cette dernière, l’Ukraine demeure un allié stratégique majeur notamment en matière d’équipement militaro-industriel. Ainsi, en s’abstenant de voter la résolution 2623, l’Algérie cherche à maintenir sa loyauté envers la Russie tout en indiquant son ouverture aux sollicitations des pays occidentaux, notamment en ce qui concerne l’acheminement de gaz.

Quant au Maroc, celui-ci était absent lors du vote. En réalité, Rabat cherche à obtenir un positionnement neutre, voire positif de la Russie – membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies – concernant le Sahara occidental.

Ainsi au-delà du différend sur les gazoducs, l'Algérie et le Maroc rivalisent pour obtenir la position de premier plan régional.

La situation politique libyenne18

Cet article se penche sur les récents évènements diplomatiques et internationaux visant à faciliter une résolution de la crise en Libye, ainsi qu'à favoriser le retour à des élections législatives.

Abdoulaye Bathily (à l'écran), Représentant spécial du Secrétaire général et Chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye, informe la réunion du Conseil de sécurité de la situation en Libye.
UN Photo / Eskinder Debebe

Le 18 décembre 2023, M. Abdoulaye Bathily, le Représentant spécial du Secrétaire général pour la Libye, a exprimé sa satisfaction quant à l'établissement d'un « cadre constitutionnel et juridique19 » qui permettra la tenue d'élections réussies en Libye.

Historique de la situation politique libyenne

En 2011, dans le cadre du Printemps arabe, la population libyenne s'est soulevée contre le régime du colonel Mouammar Kadhafi. Ce soulèvement a entraîné une intervention militaire internationale et a conduit au renversement du régime de Kadhafi.

Après la révolution, la Libye a été confrontée à divers défis notamment en matière de gouvernance, de sécurité et de reconstruction nationale. L'émergence de milices et de factions rivales a engendré un climat d'instabilité. Par conséquent, les efforts visant à établir un gouvernement stable et à instaurer des institutions démocratiques ont été freinés par les rivalités entre groupes armés et factions politiques.

En 2015, un accord politique parrainé par l’ONU a été signé à Skhirat, au Maroc, visant à former un gouvernement d’union nationale20. Cependant, sa mise en œuvre a été entravée par les différents groupes antagonistes – à l’Ouest, Tripoli, à l’Est, Tobrouk, chacune soutenue par des milices et groupes armés.

Cependant, des démarches ont récemment été initiées pour aboutir à une solution politique. En l’espèce, la Conférence de Berlin en 202021 visait à mettre un terme aux interventions étrangères.

L’apport du « Comité 6+6 »

Le comité mixte pour l'élaboration des lois électorales, également désigné sous le nom de « Comité 6+6 », vise à parvenir à un consensus entre les diverses factions politiques. Ce consensus est essentiel pour établir un gouvernement stable et faciliter la tenue d'élections démocratiques. Ainsi, pour la première fois depuis l’échec de 2021, la Libye dispose désormais « d’un cadre constitutionnel et juridique pour tenir des élections réussies22 ».

Malgré cette progression, la situation fait face à une impasse. En effet, les différents acteurs politiques de la société libyenne semblent maintenir des divergences sur la formation d'un éventuel gouvernement. Toujours est-il que le Représentant spécial, M. Abdoulaye Bathily, a assuré redoubler d’efforts « pour permettre l’émergence d’un consensus et l’inclusion d’un plus large éventail d’acteurs issus de la société libyenne au processus politique23 »

Attaque au Kurdistan d’Irak, le 31 décembre 2023

L’idée est d’observer la position diplomatique de la France face à l’attaque de drone au Kurdistan d’Irak.

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Ayman HENNA / AFP

Le nombre d'attaques contre les forces américaines et la coalition internationale24 a augmenté depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas. En effet, l'attaque du 31 décembre 2023 a été réalisée au moyen d'un drone contre une base située près de l'aéroport d'Erbil, dans la région du Kurdistan en Irak.

La Résistance islamique en Irak25 a également déclaré avoir mené lundi une attaque de drone contre une autre base, Harir, située au nord d'Erbil. L’objectif de ces derniers est d’éradiquer la péninsule arabique de toute influence étrangère. En l’espèce, cette base héberge des troupes américaines ainsi que la coalition internationale - engagées contre l’État islamique.

Suite à ces événements, la France a condamné « avec la plus grande fermeté l'attaque26 ». Elle demande également à toutes les parties de respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de l'Irak, ainsi que la stabilité et la sécurité de la région autonome du Kurdistan au sein de celui-ci. Elle exprime par ailleurs sa pleine solidarité envers les autorités fédérales irakiennes et celles de la région autonome du Kurdistan.

La France appuie les initiatives entreprises en faveur de la réconciliation nationale, de la stabilisation et de la reconstruction des zones libérées, éléments essentiels pour obtenir une victoire durable contre le terrorisme et faciliter le retour des populations déplacées.

Références :

1 L’Algérie a acquis son indépendance le 3 juillet 1962. Le Maroc a quant à lui acquis son indépendance le 2 mars 1956.

2 L’uti possidetis est une expression latine qui signifie "comme vous possédez" en français. C'est un principe juridique international qui fait référence à la préservation des frontières existantes lors de l'accession à l'indépendance d'un territoire ou d'un État. En d'autres termes, il stipule que les frontières d'un nouvel État sont héritées des frontières géographiques ou administratives existantes au moment de l'indépendance, en utilisant les frontières établies par le pouvoir colonial. Ce principe a été largement utilisé lors des décolonisations du XXe siècle, où les nouveaux États indépendants ont souvent adopté les frontières héritées de la période coloniale. L'idée sous-jacente est de maintenir la stabilité et d'éviter les conflits liés à la redéfinition des frontières à la suite de l'indépendance.

3Front Polisario est un mouvement politique et militaire sahraoui qui a été créé en 1973. Son objectif principal est de lutter pour l'indépendance du Sahara occidental, un territoire situé au nord-ouest de l'Afrique, et revendiqué à la fois par le Front Polisario et le Maroc.

4 TSGP : Projet de gazoduc trans-saharien

5 République Démocratique Algérienne, Journal officiel de la République Algérienne n°72, « Convention et accords internationaux », Alger, le 28 novembre 2010, p. 3-8.

6 Dans le nord du Niger.

7 Dans le sud désertique algérien.

8 Ministère des Affaires étrangères du Nigeria, « Le projet du gazoduc transsaharien réalise un "progrès significatif" », Algérie Presse service, le 18 décembre 2023 

9 NMGP : Nigeria-Maroc Gas Pipeline

10 NNPC : Nigerian National Petroleum Corporation

11 CEDEAO : La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a établi par le traité de Lagos signé le 28 Mai 1975 par quinze pays de l'Afrique de l'Ouest : Bénin, Burkina, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.

12 ECOWAS CEDEAO, « Développement de l’énergie dans l’espace CEDEAO : de fortes recommandations pour le déploiement du projet d’extension du gazoduc de l’Afrique de l’Ouest », Info CEDEAO, Le 11 décembre 2020.

13 Banque Islamique de Développement (BID), « Signature d'accords de financement liés au projet d'étude de conception technique d'amont pour le gazoduc Nigeria – Maroc », IsDB, Le 20 décembre 2021.

14  OPEP : L’organisation des pays exportateurs de pétrole

15 Maroc.ma, « Signature à Rabat de cinq Mémorandums d’entente tripartites sur le Gazoduc Nigeria-Maroc », Actualité diplomatique, Le 6 décembre 2023.

16  TSGP : Projet de gazoduc trans-saharien.

17 Assemblée des Nations Unies, Onzième session extraordinaire d’urgence, « Agression contre l’Ukraine », A/ES-11/L.1, Le 1er mars 2022.

18 UN Web Tv, « La situation en Libye – Conseil de sécurité, 9510e séance », DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION GLOBALE (DCG), MISSION D’APPUI DES NATIONS UNIES EN LIBYE (MANUL), le 18 décembre 2023.

19 Ibid.

20 Conseil de sécurité des Nations Unies, « Projet de résolution S/2015/1016 », Draft resolution / United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, Bibliothèque numérique, Le 23 décembre 2015

21 Ministère fédéral des Affaires étrangères (Allemagne), « Deuxième conférence de Berlin sur la Libye : une nouvelle phase pour la paix en Libye » Actualité diplomatique, le 23 juin 2021.

22 Nations Unies, Couverture des réunions & communiqués de presse, « Conseil de sécurité : Libye, le projet de loi électorale suspendu à un accord politique entre les différents acteurs institutionnels », 9510E Séance, CS/15535, Le 18 décembre 2023.

23 UN Web Tv, « La situation en Libye – Conseil de sécurité, 9510e séance », DÉPARTEMENT DE LA COMMUNICATION GLOBALE (DCG), MISSION D’APPUI DES NATIONS UNIES EN LIBYE (MANUL), le 18 décembre 2023.

24 Engagées contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie.

25 Ensemble de groupes armés affiliés au Hachd al-Chaabi, coalition constituée d'anciens paramilitaires intégrés aux forces régulières.

26 Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, « Attaque au Kurdistan d’Irak (31 décembre 2023 », France Diplomatie.