« La Ligue des États arabes, créée avec une certaine hâte en mars 1945 sur le modèle de ce qui serait, quelques mois après, l’Organisation des Nations unies, fut considérée par cette dernière comme une entente régionale, conforme au vœu d’un pluralisme culturel et politique. »1 Celle-ci s’est édifiée au profit d’un dessein civilisationnel, qui à l’origine aspire à transcender les clivages confessionnels2. Toutefois, cette première ébauche du panarabisme n’a pas été soutenue majoritairement. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale a encouragé davantage l’idéologie du panarabisme et a orienté le concept vers un dessein politique3. Pour ce faire, le Premier ministre du royaume d’Égypte, Nahas Pacha4, reçut les délégués arabes5 au palais royal Antoniadès, à Alexandrie, le 7 octobre 1944. Cette rencontre s’accordait à faire le point des opinions présentes. Ainsi, la forme qu’on allait prêter à l’entente régionale y était vivement débattue. D’un côté, ceux qui se voulaient partisans d’une union totaleimaginaient un rassemblement des peuples arabes sous l’autorité du roi Farouk. De l’autre, Nahas Pacha et ses adeptes évoquaient plutôt une formation progressive de l’Union des États arabes, une union dite partielle. À l’issue decette discussion, les délégués arabes ont accepté la seconde proposition, signant ainsi le protocole d’Alexandrie. Cette première alliance introduit quelques mois plus tard, en février et mars 1945, la constitution de la Ligue des États arabes ainsi que la signature du Pacte6.
Le Pacte tend vers divers objectifs, qui peuvent être analysés selon deux ordres. Un ordre interne et un ordre externe à la Ligue. Le premier vise essentiellement à renforcer et consolider les relations entre les États signataires. En l’espèce, l’article 2 du Pacte7 explicite bien cela. Le second, profite du contexte de la guerre pour s’affirmer. En effet, la Ligue souhaitait d’une part imposer les indépendances individuelles des États arabes — qui sont à l’époque sous le joug de la colonisation ou encore des tutelles des Nations Unies — et d’autre part, concurrencer, tel un instrument international, les Grandes nations de ce monde. Il en résulte que la Ligue a rapidement eu un rôle à jouer au Moyen-Orient, notamment sur le conflit israélo-palestinien. Il est d’ailleurs légitime d’interroger les dispositifs mis en place par l’organisation, car la Palestine a depuis le début de la création de la Ligue un statut particulier. En effet, Moussa Bey El-Alami, délégué palestinien, a participé au Protocoled’Alexandrie en 1944. Qui plus est, au sein du même Protocole figure une annexe qui concerne la Palestine. On peut y lire que « Les droits des Arabes dePalestine ne peuvent être lésés sans danger grave pour la paix et la stabilitédu monde arabe8 ». Le Pacte va même plus loin en reconnaissant l’État palestinien « autonome de jure depuis la fin de la domination ottomane et depuis le Traité de Lausanne9 ».
Ainsi, après l’ajournement de la conférence de Londres en 1946,la Ligue a publié un plan d’action visant à solutionner ledit conflit. Defacto, elle propose : un gouvernement provisoire composé de sept musulmans arabes et de trois juifs ; l’arrêt absolu de l’immigration juive ; la préparation de l’élection d’une assemblée constituante ; garantie de la liberté religieuse ; et propose une substitution au mandat britannique à une alliance anglo-palestinienne. Hélas, ce projet est rejeté par la Cour britannique. De plus, l’Organisation des Nations Unies vote dans la nuit du 29 novembre 1947, la résolution 18110. Cette dernière suggère un plan de partage du mandat britannique en deux états, un juif et un arabe. La résolutionest adoptée avec 33 pays votant en faveur, 13 pays votant contre et 10 pays s’abstenant. Elle fut, sans surprise, ardemment rejetée par les populationsarabes11.
In fine, toutes les tentatives de la Ligue se sont soldées par des échecs et la zone géographique du Proche et Moyen-Orient s'est enlisée dans divers conflits. La région est à ce jour sensiblement conflictuelle. Le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas résolu. Le Yémen est sujet à une guerrede proxy entre deux acteurs rivaux, l’Arabie saoudite et l’Iran. Les instabilités politiques sont devenues monnaie courante. On pense à la guerre syrienne, mais également au cas particulier du Liban, qui s’abstient de présidence. C’est dans ce contexte que la Ligue arabe souhaite intervenir avec une toute nouvelle approche. Elle se veut pragmatique et choisit des alliés qui s’affirment davantage au sein de la communauté internationale. À cette fin, les vingt-deux membres de l’organisation12 ont participé au Sommet arabo-islamique le 11 novembre 2023 à Riyadh. Ils adoptèrent une résolution visant à mettre fin à l’agression israélienne contre le peuple palestinien, et rejettèrent catégoriquement toutes tentatives de dépeçage. Ils demandèrent d’unepart, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, d’adopter une résolution concomitante dénonçant « la destruction, le déplacement et le déni des services et des besoins de première nécessité, imposant la cessation immédiate de l’agression militaire israélienne et la levée du blocus israélien illégal, garantissant l’acheminement de l’aide humanitaire à la Bande de Gaza et contraignant l’occupation coloniale à se conformer aux lois internationales13». Et d’autre part, de « qualifier l’agression israélienne en cours de crime de guerre vengeresse qui ne saurait être justifiée sous aucun prétexte14 ». De surcroît, la République populaire de Chine soutient la Ligue arabe « dans le rôle important qu’elle joue sur la question palestinienne15 » et la rejoint sur le fait que « la communauté internationale doit jouer un rôle efficace, apporter un soutien humanitaire au peuple palestinien et œuvrer à la reprise rapide des pourparlers de paix16 ». Enfin, la Ligue a été invitée par le président Emmanuel Macron17 le 22 novembre 2023, afin d’œuvrer pour éviter une crise humanitaire des plus graves.
Aujourd’hui, le Sud global, y compris la Ligue, estime que l’ONU a atteint ses limites en tant que faiseur de paix, et suggère des « solutions locales aux crises régionales18 ». En l’espèce, l’Arabie saoudite concourt à encourager des élections présidentielles au Liban. In fine, ces échanges diplomatiques indiquent que l’organisation arabe est un acteur régional et international important, car elle s’affirme aux côtés de grandes puissances afin de promouvoir une sortie de conflit efficace. De plus, quatre membres de la Ligue19 ont rejoint très récemment les BRICS, ce qui ajoute un potentiel soutien aux résolutions votées par l’entente régionale. Nonobstant, des divisions sont à observer. En effet, certains membres20 ont normalisé leurs relations avec Israël. Cette normalisation est sujette à controverse et crée de la désunion, notamment à l’échelle internationale. En l’espèce, l'Algérie ainsi que le Liban ont proposé à certains pays de rompre les liens économiques et diplomatiques avec Israël et de cesser d'approvisionner en pétrole ce pays et ses alliés, selon des diplomates arabes. Toutefois, au moins trois pays, parmi lesquels les Émirats arabes unis et Bahreïn, qui ont normalisé leurs relations avec Israël en 2020, ont rejeté cette proposition.
Présidentielle égyptienne (10-12 décembre 2023)
L'élection présidentielle de 2024, avancée à décembre 2023, a animé la vie politique égyptienne. La réélection semble assurée pour le président sortant Abdel Fattah Al-Sissi qui s'apprête à entamer son troisième mandat. Néanmoins, la première phase de sa campagne électorale s'est révélée plus vive que prévu, car plusieurs militants de l'opposition ont lancé une campagne ouvertement critique à l'égard de Sissi. De surcroît, Ahmed Al-Tantawy, ancien parlementaire, est rapidement devenu un phénomène médiatique. Grâce à ses réseaux sociaux, Al-Tantawy a gagné une certaine visibilité. En l'occurrence, il a réussi à mettre en avant ses déplacements dans les principales villes du delta du Nil, du canal de Suez et de la Haute-Égypte. Bien que Al-Tantawy n'ait pas réussi à remplir les critères requis pour se présenter aux élections21, la fracture provoquée par ces discours reste significative. Les limites imposées aux candidats de l'opposition, notamment en termes de liberté d'expression, pourraient faire partie d'une stratégie visant à contenir l'impact de la crise économique et sociale qui traverse le pays. Tantawy aurait recueilli environ 14 000 signatures « officielles » ou certifiées, 70 000 signatures « populaires » ou non certifiées et 140 000 signatures « numériques ».
Visite de V. Poutine au Moyen-Orient
Le président russe, Vladimir Poutine, a effectué une visite brève mais stratégique aux Émirats arabes unis le mercredi 6 décembre 2023. Cette visite, bien que limitée par le mandat d’arrêt international, transmet un véritable message à la communauté internationale alors réunie à Dubaï pour la COP28. En outre, le président "veut profiter de ce contexte et de cette visite pour montrer non seulement qu'il n'est pas isolé diplomatiquement, mais aussi que la région du Golfe est prioritaire pour lui et qu'il y dispose de nombreux partenaires".22 Qui plus est, les entretiens entre Vladimir Poutine et le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, ont porté sur le projet de construction de centrales nucléaires civiles. Moscou compte investir davantage dans ce projet, afin de diversifier le mixe énergétique de la région. Par ailleurs, la Russie et l’Arabie sont des membres clés de l'alliance dite OPEP+, qui rassemble 13 membres de l'OPEP et 10 autres pays exportateurs de pétrole dans le but d'augmenter les prix du pétrole. Il a notamment été décidé de réduire encore la production d'un million de barils par jour, mais le prix du baril, qui était tombé ces derniers jours à 76 dollars, soit 20 dollars de moins qu'en septembre, est resté inchangé.